«Par sa Parole»

Dans la Tradition juive

Soeur Cécile

(avec l'aimable autorisation de la Communion de Jérusalem)*

La Création et la Révélation sont deux langages, implicite et explicite, deux modes, immanent et manifeste, par lesquels nous est transmise la volonté du Dieu Un.

Le monde a tout d'abord été créé par dix paroles (Assarah maamaroth, du verbe omer, dire), mais sans interlocuteur ni vis-à-vis. Il n'y a aucun hiatus, entre la Parole et sa réalisation. C'est la volonté de Dieu qui s'accomplit dans l'ordre de la nécessité ; le réel est en quelque sorte parole incarnée, parole qui est à elle-même son propre accomplissement. «Au commencement la Parole s'est faite réel et celui-ci n'en fut que l'incarnation», dira même A. Abecassis.

La Révélation est également produite par la Parole. Cependant nous ne nous situons plus simplement au niveau de Dieu qui donne, mais également de l'homme qui reçoit, qui choisit de recevoir. Les dix paroles du Sinaï (Assereth ha dibberoth, de dabbar, parler) s'adressent à l'homme. Membre à part entière de la création, certes, mais aussi être doué de liberté, libre donc d'accepter ou de refuser la Parole énoncée à l'impératif. Nous avons là un approfondissement, une intériorisation puisque la Parole initiale attend le oui de la liberté humaine pour résonner et se propager, pour s'incarner dans l'histoire.

En hébreu, Davar signifie à la fois objet, parole et événement, pour nous rappeler que l'objet n'existe que par la Parole qui le fait surgir du néant, pour nous dire que la Parole de Dieu est toujours un événement pour nos vies. L'existence du monde est basée sur ces dix paroles créatrices. Dieu n'a pas créé le monde une fois pour toutes. Il y a une Parole et ce dire de Dieu continue à animer tout ce qui existe. Seulement, avec la chute, l'homme perd cette vision unifiée de la réalité et ne fait plus toujours le lien entre l'objet et la Parole, entre l'événement et la Parole. Le monde peu à peu est considéré comme une entité autonome. La création ne semble plus avoir besoin de son Créateur. On ne sent plus que c'est le Dibbour (la Parole) qui anime le Davar (l'objet).

Les dix plaies d'Égypte, en bouleversant l'ordre naturel, permirent à l'homme de comprendre qu'au sein de tout ce qui existe, subsiste la Parole de Dieu, Devar ha Shem ; que sans ces paroles créatrices le monde retournerait au chaos. Mais il ne suffisait pas que l'homme comprenne, il fallait une nouvelle Parole divine pour faire ressurgir la vie, pour passer du savoir au percevoir.

Dans la tradition juive, c'est Pessah, pâque, qui permet le changement de ton, de la création à la Révélation, de la douceur à la force, de la loi implicite et immanente à l'ordre du monde, à la loi formelle. Une autre lecture du mot Pessah, passage, propose : Peh sah, «la bouche parle». Cette Bouche longtemps muette sort de son exil et brusquement se met à parler : dix nouvelles paroles dans un Dibbour, un discours explicite qui se formule en loi et doit se recevoir en commandement : le Don de la Thora.

Cependant si on traduit le plus souvent Thora par enseignement, Rav. S. R. Hirsch précise : «Le mot Thora vient plutôt de la racine Isha hara, femme enceinte. Thora, c'est ce qui engendre. Un Ben Thora, un fils de la Thora, c'est quelqu'un qui naît par la Thora. La Thora n'est pas un savoir, elle est beaucoup plus, elle engendre un nouvel être.»

La Thora veut donc faire arriver à une perception qui transcende le monde et la matière pour «voir les voix» (Ex 20, 18), c'est-à-dire pour voir ce qui s'entend. Pour être ce vrai voyant, il faut réaliser que ces Devarim (paroles) sont l'âme des Devarim (objets) et qu'en dehors de ces premières, ces derniers n'existent plus. La Thora qui est Dieu en acte de Révélation, est la vie même, et la recevoir, c'est en prendre conscience et en vivre. Bien plus qu'une compréhension, c'est entrer déjà, au travers de la réponse agie, dans la vision, avant même le face à face éternel.

* Article extrait de la revue Sources vives numéro 101 «La parole», Décembre 2001.

SOURCES VIVES Fraternités Monastiques de Jérusalem 13, rue des Barres 75 004 PARIS FRANCE

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