Éditorial du 3 mars 2002

par Béatrice Kirch-Tougard

Pour beaucoup d'entre nous, le Carême se vit comme un désert. Pas de quoi s'en inquiéter quand on se souvient de l'étymologie du mot Carême : quadragesimaquarante. Le nombre quarante, dans la Bible, est souvent lié à une épreuve. Ne citons que deux exemples : les quarante années du peuple Hébreu au désert avant d'atteindre la Terre Promise et les quarante jours et quarante nuits de jeûne par Jésus au désert, après son baptême et avant d'entreprendre son ministère public. Dans l'un et l'autre cas, la période indiquée marque une transition et, pour toute dire, une mort. Or le dépouillement qu'elle implique, loin d'apparaître comme une fin en soi, appelle à une plus grande plénitude.

De quelle plénitude s'agit-il ? Teilhard de Chardin aurait probablement répondu par son expression de plus-être. Certes, mais le jeûne (corporel et spirituel) du Carême vise-t-il seulement la plénitude de notre être ? Plus concrètement, nos privations dans l'ordre de l'avoir servent-elles à la croissance de notre être ? Si ce n'était que cela, ce serait un peu court et assez sec. Car être, dans la foi juive comme dans la foi chrétienne, ne se fait pas sans envisager l'autre, sans lui accorder toute sa place ; cela équivaut à aimer, à convertir mon regard pour voir en l'autre non plus un étranger ou un empêcheur de tourner en rond, mais un frère, un fils de Dieu, – et le chrétien précisera : un visage du Christ.

Je ne jeûne pas pour moi ; je ne suis pas la fin de mon jeûne. Le Carême m'appelle à m'oublier pour mieux penser à l'autre : à l'autre, mon frère, et derrière lui, au Tout-Autre, mon Dieu et Créateur de tous. Ainsi, quand Jésus nous demande de nous parfumer la tête lorsque nous jeûnons (cf. Mt 6, 17), je comprends qu'il m'invite à avoir la bonne odeur de la sainteté, soit à aimer de son propre amour (ce n'est pas seulement pour nous-mêmes que nous nous parfumons), puisque Dieu lui-même est tout Amour. Je jeûne pour mieux sortir de moi, pour mieux aller à la rencontre de l'autre ; je me prive pour mieux donner et me donner à mes prochains, qui ont faim de nourritures terrestres et/ou de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Dt 8, 3).

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